"Bâtir ensemble un système universel de retraite"
CESE, Palais d’Iéna, le 12 septembre 2019
Seul le prononcé fait foi
Monsieur le haut-commissaire,
Mesdames et messieurs les membres du CESE,
Nous sommes encore dans la période de rentrée des classes. Il y a de cela 32 ans, j’entrais en classe de Terminale. Comme des millions d’élèves avant et après moi, j’ai dû lire Jean-Jacques Rousseau et relever le défi du chapitre VI « Du contrat social » : « Trouver une forme d’association qui protège de toute la force commune chaque associé et par lequel chacun s’unissant à tous, n’obéisse pourtant qu’à lui-même, et reste aussi libre qu’auparavant ». Rares sont les projets humains, techniques, administratifs, qui parviennent à incarner une idée aussi puissante que celle du contrat social. Ils sont rares, mais ils existent. Notre système de retraite par répartition en fait clairement partie.
Au cœur du contrat social qui nous lie les uns aux autres, il y a en effet cette belle idée que la nation prend soin de ses aînés, qu’une retraite ne peut pas être le reliquat d’une vie de labeur, mais au contraire le fruit d’un cycle solidaire entre travailleurs d’hier et travailleurs d’aujourd’hui.
Notre système de retraite a rempli la mission que ses concepteurs lui avaient confiée. En un peu plus d’un demi-siècle, il a amélioré de manière considérable le niveau de vie de nos ainés. Je l’ai dit lors de ma déclaration de politique générale : la France est un des rares pays où le niveau de vie des retraités est supérieur à celui de la moyenne de la population. Même si cette moyenne masque d’importantes disparités. Ce système, beaucoup nous l’envient. Avec raison. Surtout dans un monde où le chacun pour soi et les logiques marchandes l’emportent souvent sur le reste. En France, on ne voit pas sa retraite partir en fumée à cause d’une crise financière ou parce qu’un fonds d’investissement a fait de mauvais choix. La retraite par répartition est un trésor national.
Cependant, ce système fait aussi face à des défis majeurs sur lesquels je reviendrai dans quelques instants. Ces défis ne le menacent pas à cout-terme, mais ils font planer un doute sérieux, une incertitude majeure sur son avenir. Et ce d’autant que les approches traditionnelles qui ont consisté, au fond, à rétablir un équilibre toujours précaire, ont atteint leurs limites.
C’est pourquoi, le président de la République a souhaité en engager la transformation. Non pour en renier les principes ou les affaiblir. Mais pour donner à ces principes de justice sociale et de solidarité une force nouvelle.
La semaine dernière, avec Madame la ministre des Solidarités et de la Santé et Monsieur le haut-commissaire aux Retraites, j’ai pu échanger avec l’ensemble des organisations syndicales de salariés et d’employeurs sur les préconisations du haut-commissaire, à partir desquelles nous voulons travailler.
Comme je m’y étais engagé, je viens aujourd’hui présenter le fruit de ces échanges et vous proposer le cadre dans lequel nous pourrons construire ensemble un système universel des retraites.
J’ai souhaité le faire ici, au Conseil Economique, Social et Environnemental. Parce que c’est une transformation qui va concerner tous ceux que vous représentez, à un titre ou à un autre.
Parce que la méthode que voulons utiliser pour ce grand projet, c’est celle de l’acte II : plus d’écoute, plus de dialogue avec les corps intermédiaires. Nos convictions sont fortes et notre détermination entière. Mais la réforme n’est pas écrite. Nous avons besoin de l’engagement de tous, et nous sommes prêts à prendre le temps qu’il faudra.
Certains diront d’ailleurs que la préparation de cette réforme prend trop de temps. Ce sont souvent les mêmes qui nous disaient, il y a peu, que nous allions trop vite.
Le Gouvernement a su conduire de puissantes réformes dans des délais contraints. Parce qu’il y avait urgence. Mais en ce qui concerne les retraites, ce temps long, nous l’assumons. On ne réforme pas un système vieux de soixante-dix ans en quelques semaines, surtout lorsqu’on sait combien ce sujet passionne les Français autant qu’il les inquiète.
Alors pourquoi engager aujourd’hui cette profonde transformation ?
La question des retraites est ancienne. Je viens d’évoquer mon année de classe de Terminale. Plus tard, étudiant, j’avais choisi de plancher sur le « livre blanc sur l’avenir des retraites » publié par le Gouvernement de Michel Rocard en 1991. Quelque chose me dit que j’ai eu, ce jour-là, une bonne intuition. Le sujet depuis 1991 ne s’est jamais démodé. De nombreux étudiants, beaucoup d’experts et quelques Premiers ministres s’en sont saisis de ce dossier. Cela invite à la modestie et à repartir de principes simples.
Le premier principe, c’est celui de l’universalité. Le système de 1945 a été construit selon une logique de statuts qui tenaient compte de l’histoire et de contraintes propres à certains métiers. Il a évolué depuis. Mais il fonctionne toujours selon cette logique. Une logique qui pouvait se comprendre il y a une soixantaine d’années, mais qui ne correspond plus du tout à la réalité d’aujourd’hui, et qui est synonyme aux yeux de beaucoup de nos concitoyens de corporatisme et d’injustice.
D’abord, certains régimes n’ont plus assez d’actifs pour honorer le montant des pensions. Et des régimes qui s’estiment aujourd’hui et avec raison « en bonne santé financière » - ne sont pas à l’abri demain de se retrouver en déficit en raison d’importants départs à la retraite. Des filières disparaissent. De nouveaux métiers se créent. Certains attirent beaucoup de jeunes actifs durant une période puis, pour toute une série de raisons, n’attirent plus. Qui peut prédire aujourd’hui ce que sera l’organisation du travail dans 50 ans ? La solidarité professionnelle peut être très forte. Je ne le conteste pas, je m’en réjouis même. Mais elle n’est pas forcément durable. Et elle le sera de moins en moins à mesure que les métiers se transformeront.
La seconde raison, c’est qu’aujourd’hui, les travailleurs français changent plusieurs fois de carrière, voire de statuts durant leur vie active. Beaucoup d’actifs connaissent des périodes de chômage. Certains en sortent en devenant travailleur indépendant pendant un temps. Les parcours sont beaucoup plus fragmentés qu’il y a un demi-siècle. On peut le regretter, mais c’est la réalité et nous devons mieux protéger les Français contre ces aléas.
La meilleure manière de s’en prémunir c’est de renforcer « l’universalité » du système, c’est-à-dire de créer une solidarité entre tous les métiers. Rousseau avait raison : la protection vient de la « force commune ». Plus nous serons nombreux à cotiser au même régime, plus la solidarité et les protections seront fortes. Voilà pourquoi nous voulons construire un système universel de retraite.
Le second principe est celui de la responsabilité. Les Gouvernements précédents ont pris des mesures parfois courageuses et toujours impopulaires pour préserver l’équilibre financier du système. Ces mesures ont chaque fois réglé une partie du problème. Ce qui est loin d’être négligeable. Mais elles ont donné le sentiment de soigner sans véritablement guérir.
Notre système ne s’est pas véritablement adapté aux changements démographiques. On comptait 4 actifs pour 1 retraité en 1960. Ils étaient 2 actifs pour 1 retraité en l’an 2000. Et on comptera 1,5 actif pour 1 retraité en 2040.
Le système, pour l’heure, n’est pas très loin de l’équilibre. Faut-il en déduire qu’il ne faut rien faire ? Je ne le crois pas. Car les départs à la retraite resteront très nombreux dans les années à venir et tout porte à croire que ce déficit va fortement se dégrader.
Certains me diront que ces remarques sont budgétaires. Ça n’est pas forcément un gros mot, et pour ma part je n’ai jamais considéré que produire du déficit et de la dette était un signe de bonne santé et de bonne gestion. Mais ce qui est en jeu, ce n’est pas un sujet d’équilibre comptable, c’est un sujet de justice, un sujet de justice entre les générations.
Le président de la République l’a dit au terme du Grand Débat. Pour continuer à financer notre système de retraites, il faut que les Français travaillent plus longtemps. D’autant que nous sommes un des pays d’Europe où l’on part à la retraite le plus tôt.
Depuis quelques années, l’idée de travailler plus longtemps n’est pourtant plus taboue. Ni pour la droite, ni pour la gauche. Et encore moins pour les Français, qui travaillent d’ores et déjà aujourd’hui plus longtemps que l’âge légal pour bénéficier d’une meilleure pension : au régime général, ils partent en moyenne à 63,5 ans ! En un sens, ils ont déjà un peu tranché le débat.
Le troisième principe, qui est un défi pour nous tous, c’est celui de la confiance.
La confiance entre les générations :
- Les jeunes sont de plus en plus nombreux à penser qu’ils ne bénéficieront jamais d’une vraie retraite. Or, moins ils auront confiance dans le système, moins ils accepteront d’y contribuer. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Mais rien n’indique qu’il en sera toujours de même demain. Souvenons-nous que la crise des gilets jaunes a aussi été une crise du consentement à l’impôt.
La confiance aussi au sein d’une même génération :
- Le système actuel est objectivement injuste. Injuste avec les femmes, car il reproduit largement les inégalités salariales. Injuste avec les personnes qui ont des accidents de parcours. Injuste avec ceux qui sont durablement éloignés de l’emploi. Bref avec tous ceux que nous devrions davantage protéger.
- Le système est aussi peu lisible. En moyenne, chaque Français est affilié à trois régimes au moment de partir à la retraite. Et trop souvent, on doit attendre le dernier moment pour connaître le montant exact de sa pension, ce qui n’est pas la meilleure manière de préparer avec sérénité cette étape de la vie. Faites le test : demandez à quelqu’un de 53 ans combien il touchera à la retraite. La réponse a peu de chances d’être précise.
- Enfin, reconnaissons-le, l’opacité, ou la très grande complexité, ne favorise pas la confiance. Aujourd’hui, à revenu identique, un changement de statut a des effets sur le montant des droits à la retraite. Par exemple, pour une carrière et un salaire identique, un assuré qui a fait le début de sa carrière dans le privé, puis fini dans le public, aura une retraite supérieure à celui qui a commencé sa carrière dans le public, puis fini dans le privé.
- Chacun pense que le système lui est défavorable. Que dans d’autres régimes, les retraités profitent d’avantages souvent à ses dépens. C’est parfois vrai, c’est parfois faux. Mais cette méconnaissance alimente les rancœurs là où la solidarité devrait jouer à plein.
Ne prenons pas cette défiance à la légère. Petit à petit, elle sape la confiance de toute une Nation. Entre les travailleurs ; entre les générations. Et dans l’avenir. Or, comme je le disais en préambule, les retraites, c’est le cœur de notre contrat social. Le cœur de ce qui nous unit de génération en génération. Le cœur de ce que nous sommes depuis la Libération : une grande puissance économique, libérale et solidaire. Cette confiance, nous devons donc la reconstruire. C’est l’objet du système universel que nous voulons mettre en place.
Nous allons donc bâtir un système vraiment universel qui, pour un euro cotisé, ouvre les mêmes droits à tous, que l’on soit ouvrier, commerçant, chercheur, agriculteur, fonctionnaire, médecin ou entrepreneur.
Un système qui conduira donc à la disparition des régimes spéciaux et à de multiples dérogations qui, à quelques exceptions près, n’ont plus lieu d’être. Et qui auront encore moins de raisons d’exister dans 30 ou 40 ans.
Un système qui renforce la redistribution au profit des plus modestes. Qui leur garantisse une pension au moins égale à 85% du SMIC pour une carrière complète.
Un système qui corrige les inégalités de pensions entre les femmes et les hommes.
Un système qui protège les actifs qui ont des carrières heurtées ou incomplètes. Pour qu’à la précarité du présent ne s’ajoute pas, comme une double-peine, une précarité future.
Un système qui permette aux Français de choisir leur vie professionnelle en toute liberté, sans s’inquiéter pour leur retraite.
Un système plus transparent puisque chaque Français pourra suivre sur son compte-retraite, les points qu’il a accumulés durant ses années de travail et donc savoir exactement où il en est.
Bien sûr, le système de retraite par points sera une nouveauté pour certains de nos concitoyens, je pense aux fonctionnaires par exemple. J’ai dit que j’étais ouvert au dialogue mais au moment où ce débat commence, je forme le vœu que nous évitions, de chaque côté de la table, d’utiliser des arguments qui n’ont d’autre objet que de faire peur aux Français. Depuis 50 ans, les partenaires sociaux gèrent un régime, l’AGIRC ARRCO, qui fonctionne par points et qui verse un quart des dépenses de retraite de notre pays. 82 milliards ! Et je ne crois pas que les salariés du secteur privé y aient vu, jamais, une quelconque remise en cause du système par répartition.
Un système par points, c’est un système par répartition où les travailleurs payent les pensions des retraités. C’est un système plus lisible pour tous, et d’abord pour les assurés, avec un principe simple : chaque heure travaillée se traduit par l’attribution de points. Dans notre système par annuité, quelqu’un qui travaille moins de 150 heures par trimestre ne s’ouvre aucun droit.
J’entends les inquiétudes qui s’expriment, qui sont légitimes, sur l’évolution de la valeur du point dans le futur système et donc du montant des retraites. Je le dis avec une certaine solennité : nous voulons bâtir un système solide, pérenne, solidaire, qui assure un haut niveau de retraite dans la durée, aux retraités d’aujourd’hui, mais aussi à ceux de demain et d’après-demain. Décidons ensemble des garanties à mettre en place dans la future gouvernance du système universel pour déterminer qui fixera la valeur du point et dans quelles conditions.
Si notre projet porte de grandes ambitions de justice sociale, je ne sous-estime pas l’ampleur des bouleversements qu’il implique. Encore moins les inquiétudes qu’il suscite. C’est pourquoi, je voudrais d’ores et déjà poser un certain nombre de garanties.
La première concerne les métiers dangereux ou pénibles sur le plan physique. Nous intègrerons évidemment ces deux dimensions dans le futur système, comme cela existe dans le système actuel. Je le dis très clairement à nos militaires et aux forces de sécurité intérieure : nous continuerons à reconnaître la valeur de leur engagement et des risques qu’ils prennent pour assurer notre sécurité. De même que je tiens absolument à ce que ceux qui ont commencé à travailler très tôt, avant l’âge de 20 ans, puissent partir plus tôt. C’est une question de justice.
La deuxième garantie concerne le travail des seniors. Ou plus exactement leur maintien dans l’emploi. Nous avons besoin de leur expérience. On ne peut pas vouloir inciter nos concitoyens à travailler plus longtemps sans réinterroger les transitions entre activité et retraite, sans aménager les fins de carrière, sans adapter les postes, les horaires, les conditions de travail. Depuis 20 ans, la société commence à changer de regard et c’est tant mieux. La part des 55-64 ans en activité a nettement augmenté dans notre pays. Mais il faut une nouvelle étape, un nouveau souffle qui s’appuie, je le dis très clairement, sur la mobilisation des employeurs. J’ai compris qu’ils y étaient prêts.
La troisième garantie, c’est le temps. Le Haut-Commissaire a proposé que le nouveau système entre en vigueur en 2025. Mais ça ne veut pas dire que du jour au lendemain, tout va changer pour tout le monde. Le rapport propose une entrée en vigueur très progressive et pose trois règles :
- L’entrée dans le nouveau système concernerait uniquement les personnes qui sont nées après l’année 1963. Au plus tôt. Je veux le dire très clairement, la mise en place du système universel ne concerne ni les retraités actuels, ni les actifs qui sont proches de la retraite.
- Deuxième règle : les droits qui ont été acquis dans le cadre des régimes actuels seront conservés à 100%. Le nouveau système ne vaudra que pour l’avenir. Par exemple, si en 2025, j’ai effectué les ¾ de ma carrière professionnelle, je conserverai tous les droits que j’ai acquis durant cette période. Et le nouveau système ne s’appliquera qu’au prorata de ma carrière après 2025, c’est-à-dire ¼ dans mon exemple.
- Enfin, le haut-commissaire a proposé une période longue de convergence entre les anciens systèmes et le nouveau. Il a parlé de 15 ans. Cela signifie que le nouveau système ne s’appliquerait entièrement qu’à partir de 2040.
Vous voyez que nous sommes prêts à nous donner tout le temps nécessaire. Je veux partager avec vous ma conviction : une telle réforme ne peut être acceptée que si elle respecte les droits acquis et les aspirations légitimes.
Les travaux de Jean-Paul Delevoye et les discussions avec les partenaires sociaux la semaine dernière ont montré que pour certaines professions l’application pure et simple du nouveau système conduirait à des effets de seuil considérables, parfois à de véritables injustices individuelles. On ne pas va le nier, c’est vrai. Mais il y a des solutions.
Si, pour certaines professions, la période de transition doit être plus longue, nous l’allongerons. Je pense par exemple à la question des taux de cotisations pour les indépendants, ou à celle des âges de départ pour les catégories actives.
De la même façon, peut-être le nouveau système ne devra-t-il s’appliquer, pour certains régimes, qu’à des personnes plus jeunes, plus éloignées de la retraite. Là-dessus, et je l’ai dit au haut-commissaire, je n’ai aucun tabou.
Tout cela pour dire que des solutions existent si tant est qu’on se donne les moyens de les rechercher. Elles varient d’un régime à l’autre. Elles demandent de l’imagination et un peu de souplesse. J’ai par exemple bien identifié la proposition du haut-commissaire d’adapter l’assiette des cotisations sociales des travailleurs indépendants. C’est une piste qu’il nous faut creuser.
Nous prendrons le temps qu’il faut pour construire ces solutions avec les organisations syndicales et professionnelles. C’est d’ailleurs toute la différence entre l’alignement pur et simple– qui est toujours brutal - et la convergence qui, elle s’effectue en pente douce.
Enfin, pour certaines professions, le sujet outrepasse largement la retraite, et donc cette réforme : c’est tout un équilibre qu’il faut revoir. Je pense aux enseignants, je pense aux chercheurs. Ils sont aujourd’hui souvent moins bien payés que leurs homologues européens. Ils seraient demain moins bien traités à la retraite aussi, si nous ne faisions rien. Ça n’est évidemment pas acceptable. Est-ce que cela veut dire qu’il est injuste de mettre en place un système universel de retraite ? Non, cela veut dire que nous devons repenser les carrières des enseignants et des chercheurs, et le système de rémunération qui les accompagne. C’est ce que nous allons faire. Le même raisonnement vaut pour les aides-soignants. La mise en place du système universel devra nous conduire à repenser là-aussi la carrière et le système de rémunération qui lui est associé, alors même que le métier évolue et qu’il sera central pour nous permettre de faire face aux enjeux du grand âge et du vieillissement de la population.
Nous sommes donc décidés à prendre tout le temps nécessaire. Mais en travaillant avec méthode.
Si certains craignent que les discussions repartent de zéro, je veux les rassurer : notre point de départ, ce sont les préconisations du haut-commissaire, car, vous l’avez tous salué lors de nos échanges, c’est un travail complet, solide qui va nous permettre d’avancer.
J’ai bien mesuré les points de consensus et les points de désaccords ; il ne s’agit pas de les ignorer ; nous devons maintenant passer d’un rapport à l’écriture d’un projet de loi.
On peut au fond distinguer 2 démarches différentes :
- La première consiste à nous accorder sur le système futur. C’est la définition des paramètres du nouveau système universel, une fois que celui-ci sera entièrement mis en place. Quels taux de cotisation ? Quelles conditions de départ à la retraite ? Quelles seront les règles relatives aux pensions de réversion que nous tenons à conserver ?
- La seconde étape vise à déterminer comment chacun des 42 régimes rejoint la « maison commune ». À quel rythme et selon quelles conditions. Cette phase de transition prendra beaucoup plus de temps à définir, naturellement, puisque chaque régime devra dessiner son propre chemin de convergence. Tant que ce chemin ne sera pas tracé, le nouveau système ne leur sera pas appliqué. Et pour que les choses soient vraiment claires, le Gouvernement inscrira ce principe dans le futur projet de loi.
Pour définir le système cible et les générations concernées, l’objectif demeure à cet égard le même : à savoir un vote du Parlement sur ce projet de loi d’ici la fin de la session parlementaire de l’été prochain.
Ce projet devrait donc comprendre trois grands chapitres :
- la définition du futur système de retraites ;
- la détermination des conditions de retour à l’équilibre en 2025 ;
- la définition des grands principes qui encadrent la transition des différents régimes ;
Nous allons commencer la rédaction de ce projet de loi. Dans ce but, Jean-Paul Delevoye lancera dès la semaine prochaine, un nouveau cycle de discussions avec les partenaires sociaux organisé autour de quatre thèmes :
- les mécanismes de solidarité ;
- Les conditions d’ouverture des droits à pension ;
- Les conditions de l’équilibre en 2025 et les modalités de pilotage et de gouvernance du futur système ;
- Les modalités de transition des 42 systèmes existants vers le système futur et les garanties que nous pouvons offrir aux personnes en place.
Un mot sur chacun de ces sujets.
Sur la solidarité : elle imprègne les systèmes actuels : ¼ du montant global des pensions relève de mécanismes de solidarité, qui couvrent les périodes de chômage, de maladie, de maternité, compensent les parents de famille nombreuse, financent les pensions de réversion. Nous voulons conforter cet effort et garder un haut niveau de solidarité dans le système, tout en simplifiant et en unifiant les règles, afin que la solidarité nationale finance des règles qui soient les mêmes pour tous.
S’agissant des conditions d’ouverture des droits à pension, c’est là que sera abordée l’importante question de l’âge et de la durée. Question qui fait débat, y compris parmi les partenaires sociaux ; on dit parfois que jouer sur l’âge serait de droite, et que jouer sur la durée serait de gauche. D’abord, on n’est pas là pour jouer. Et surtout, la seule chose qui compte, c’est la justice.
J’ai entendu certaines organisations syndicales défendre l’idée que l’âge de taux plein devait être, comme aujourd’hui, fonction de la durée de cotisation, pour permettre aux actifs qui ont commencé à travailler tôt de partir plus tôt.
J’en ai entendu d’autres dire que l’âge de taux plein devait être le même pour tous, et le cas échéant fixé à 64 ans, en rappelant que cela avantagerait les femmes, souvent précaires, qui doivent aujourd’hui attendre d’avoir 67 ans pour partir à la retraite car elles n’ont pas tous leurs trimestres.
En ce qui me concerne, je voudrais vous faire partager deux convictions.
D’abord, je crois que nous pouvons nous accorder sur un constat parce qu’il est factuel: l’âge légal de 62 ans est un âge minimal de départ à la retraite et non l’âge du taux plein pour tous. D’ailleurs, l’âge moyen de départ est déjà supérieur à 63 ans. Et les travaux du conseil d’orientation des retraites montrent qu’il continuera d’augmenter.
Ensuite, il existe un certain nombre d’outils qui permettent de conjuguer durée et âge. Dans un système fondé sur l’âge, pour prendre en compte les carrières longues par exemple, il faut s’appuyer sur la durée. Réciproquement, dans un système fondé sur la durée, il faut conserver une référence à l’âge pour les carrières courtes ou les invalides.
Les concertations doivent donc évaluer avec soin les avantages et les inconvénients de chaque option. Et pourquoi pas, les faire évoluer pour les rapprocher et les faire se renforcer l’une et l’autre. Je suis sûr que nous pouvons avoir un débat serein à ce sujet.
Mais, durée ou âge, parce qu’il faudra travailler plus longtemps, nous devons réfléchir au maintien dans l’emploi des séniors et au passage de l’activité à la retraite.
Le haut-commissaire a fait des propositions intéressantes, je pense aux règles du cumul emploi retraite par exemple. Les échanges que j’ai eus avec les partenaires sociaux ont confirmé de manière unanime, la nécessité de mener à bien ce chantier que j’avais évoqué dans ma déclaration de politique générale.
Je vais donc confier une mission à Sophie Bellon, présidente du conseil d’administration de SODEXO qui aura à ses côtés Jean-Manuel Soussan, directeur des ressources humaines du groupe Bouygues Construction et à Olivier Mériaux ancien directeur général adjoint de l’agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT), pour me faire rapidement des propositions. Ils travailleront de manière très étroite avec Muriel Pénicaud, Agnès Buzyn et Jean-Paul Delevoye et associeront bien évidemment l’ensemble des acteurs concernés.
Le troisième thème de la concertation portera sur le pilotage financier du système. En clair : comment assure-t-on son équilibre en 2025, puis dans la durée ? Quelles règles pour encadrer son pilotage ? Quelle en serait la meilleure gouvernance ?
Le Conseil d’orientation des retraites a fait avant l’élection présidentielle des projections financières. Elles ont été révisées depuis. J’ai noté que ces changements avaient suscité des interrogations. Voire des soupçons. Or, je veux que le débat s’engage sur des bases incontestables et je l’espère, partagées.
Cette semaine, je saisirai donc le Conseil d’orientation des retraites dont, je le rappelle, les partenaires sociaux sont membres. Je lui poserai deux questions très simples.
D’abord je lui demanderai de nous dire d’ici le mois de novembre, quelle sera selon lui, la situation financière de notre système de retraites durant la prochaine décennie.
Et comme le COR le fait à chaque exercice de projection, je lui demanderai quelle devrait être l’ampleur des mesures qu’il faudrait, selon lui, prendre pour en garantir l’équilibre en 2025.
Chacun sera donc parfaitement informé, à la fois de la situation à laquelle nous faisons face, et des leviers disponibles pour agir. Je ne doute pas que nous réussirons alors à convenir des mesures nécessaires pour équilibrer le dispositif. J’observe à cet égard que les partenaires sociaux ont réussi depuis longtemps à assurer l’équilibre du régime AGIRC/ARRCO.
Et si nous parvenons ensemble à équilibrer le système, nous saurons nous mettre d’accord sur des règles de pilotage à long terme et sur une gouvernance qui laisse toute leur place aux partenaires sociaux, et qui inspire confiance aux Français.
Enfin, le dernier thème de concertation, dont j’ai rappelé à plusieurs reprises l’importance, concernera les conditions de passage des différents régimes au système universel. Il s’agira à la fois d’ouvrir des possibilités de transition longue, de garantir aux Français le respect de leurs avantages acquis, de prévoir les délais de convergence vers le nouveau régime, et, par-dessus tout cela, de garantir à tous que les salariés en place ne basculeront pas dans le nouveau régime tant que les transitions n’auront pas été précisément concertées et arrêtées.
Ces quatre concertations vont commencer dès la semaine prochaine. Elles dureront jusqu’au début du mois de décembre.
En parallèle, je souhaite que nous amorcions les discussions avec les catégories professionnelles qui sont impactées par la réforme. L’idée est de faire remonter très vite les difficultés que j’évoquais. D’en identifier éventuellement d’autres. Et de trouver les transitions qui permettent de les accompagner.
J’ai demandé au haut-commissaire d’organiser d’ici le 15 octobre, avec chacun des ministres concernés, des rencontres avec les représentants des régimes impactés pour dresser un état des lieux précis et chiffrés. Et pour se fixer un calendrier de travail. Ces rencontres « verticales », profession par profession, permettront à celles-ci d’être informées des discussions transversales qui se dérouleront en parallèle. Et en retour, de nourrir les discussions transversales des situations particulières. La garantie que nous donnons : « pas d’application de la réforme aux personnes en place tant que les transitions ne sont pas arrêtées » doit nous permettre de nous concentrer d’abord sur le système cible. De dessiner en quelque sorte sur une feuille blanche, le système que nous pensons collectivement juste, lisible et soutenable. Ensuite, nous définirons les modalités de passage des anciens systèmes au nouveau, et, encore une fois, nous prendrons tout le temps nécessaire. Il me semble que c’est une méthode qui doit permettre de rassurer.
Mais parce que nous sommes dans l’acte II du quinquennat, parce que nous voyons bien que ce sujet des retraites n’est pas un sujet comme les autres ; et que nos concitoyens ne comprendraient pas qu’il relève uniquement d’une discussion entre le Gouvernement et les organisations syndicales, nous voulons consulter les Français directement. Il ne s’agit pas de faire un « copier-coller » du grand débat, mais nous en reprendrons l’esprit et certains des outils ayant fait leur preuve, comme le principe d’une plateforme numérique, ou l’organisation de réunions publiques autour d’élus locaux ou d’associations.
Avant la fin du mois de septembre, le Président de la République lancera cette démarche, et nous ouvrirons la plateforme numérique qui permettra à nos concitoyens de s’informer et de s’exprimer sur les préconisations du rapport du Haut-commissaire. J’aurai moi aussi l’occasion de m’impliquer personnellement dans ce débat. Ces consultations citoyennes sur les retraites se termineront à la fin de l’année.
Ce n’est jamais le moment. De réformer les retraites, j’entends. Et les raisons qui pourraient nous conduire à confier ce soin à d’autres – un jour, plus tard, dans 5 ou 10 ans – ne manquent pas. Eh bien moi, je trouve qu’au contraire, c’est le bon moment. Parce que c’est lorsqu’on a le temps qu’il ne faut pas en perdre. Nous ne sommes pas dans une situation d’urgence. Nous construisons, non pour parer au plus pressé, mais pour un horizon de plus de 50 ans. Nous avons le temps d’examiner chaque situation, de faire converger les régimes de manière très progressive. De lever les inquiétudes, les malentendus.
Je crois aussi que les Français sont prêts à se saisir de cette question. Bien au-delà des caricatures et des postures. Et que le meilleur moyen de reconstruire la confiance dans notre système de retraite, c’est de faire confiance dans la capacité de chaque Français à en comprendre les enjeux. À les évaluer et à en débattre. Pour écrire avec nous, avec les partenaires sociaux, les termes de ce nouveau contrat entre les générations.
Ce contrat qui fait de la France cette grande puissance solidaire et humaine dans laquelle chaque Français quels que soient son parcours, ses mérites ou ses chances, quelles que soient les vicissitudes de la vie, bénéficie du droit imprescriptible de vivre et de vieillir dans la dignité. C’est notre contrat social.
Et c’est à notre génération qu’il revient d’en écrire une nouvelle page.