Il remplace le verre, le béton et l'acier : le bois translucide de l’entreprise Woodoo, dit « bois augmenté », bâtit une arche entre tradition et modernité.
Le bois est aux prémisses de l’histoire
des matériaux. Ce matériau primitif est aussi source d’énergie. C'est lui qui, réagissant aux éclats du silex, a fait surgir les
premières flammes qui permirent d’extraire les métaux et passer de l’âge de
pierre à l’âge du fer.
Indispensable et indémodable,
traversant les âges, le matériau de plusieurs millions d’années connaît une renaissance avec les progrès de la
biotechnologie de pointe.
Plus qu’une renaissance, d’ailleurs. Avec le « bois augmenté » de la
sociétéWoodoo, le matériau mute vers une nouvelle dimension.
C’est du bois que
viendra la nouvelle révolution des matériaux. Voici l’intime conviction de Timothée Boitouzet, président et fondateur de l’entreprise Woodoo.
Tout à la fois
architecte, chimiste, entrepreneur dans l’ingénierie des biomatériaux, acteur
du développement durable, Timothée
Boitouzet a plusieurs cordes à son arc. C’est très tôt que le bois fut pour lui
une préoccupation.
C’est de Versailles en 2004, puis à Kyoto - capitale
historique du Japon - à partir de 2007, qu’il a échafaudé son parcours. Au sein
de la célèbre cité nippone aux maisons traditionnelles en bois, il se spécialise dans
les structures-bois conçues pour résister aux secousses sismiques. La résistance du bois coulait déjà dans ses veines.
Au sortir du pays du Soleil levant, ses pas le dirigent tout
à l’ouest sur le continent américain, au Media Lab du Massachusets Institute of
Technology (MIT) puis à Harvard University où entre 2011 et 2012 il se forme à la biologie moléculaire, plus particulièrement
celle du bois.
C’est durant ces années qu’il va parvenir à transformer le
bois naturel en matériau doté de performances supérieures donnant
naissance au « bois augmenté ». Le début d'un séisme qui va déplacer les
plaques tectoniques de l'histoire du bois.
L’entreprise Woodoo développe des biomatériaux de pointe pour les secteurs
de la consommation, de la mobilité et du bâtiment.
Son activité est de
concevoir et réaliser de nouveaux matériaux bas-carbone
et de haute performance sur le marché, en particulier de réinventer
le bois pour en faire le matériau le plus performant, le plus écologique et
renouvelable du XXIe siècle.
Les propriétés insoupçonnées du « bois augmenté »
Le bois Woodoo est un véritable matériau
disruptif avec de nouvelles propriétés insoupçonnées.
D’une résistance mécanique de 3 à 4
fois supérieure au bois naturel, il devient aussi solide que le béton et
l’acier.
« Le bois Woodoo est 23 fois supérieur en rigidité au
béton », précise Timothée Boitouzet. Un bois devenu pratiquement ininflammable avec une plus forte
résistance au feu. Il est de plus désormais imputrescible et devient
translucide.
Comment êtes-vous passé du bois naturel au « bois
augmenté » ? En remplaçant l’une des
trois composantes : la lignine - les autres composantes sont l’hémicellulose, la cellulose – par différents
éléments de remplissage : des résines biosourcées, des éléments recyclés,
des dérivés d’huile qui vont transformer la nature initiale du bois et le rendre
hyper performant.
Pourquoi la lignine ? La lignine, c’est ce qui
est à l’origine des problèmes dans le bois. C’est elle que rognent les insectes. Le bois devient vermoulu. La lignine, c’est aussi ce qui va devenir gris ou noir avec
le temps parce que ça s’oxyde avec l’air et l’humidité. Quand une façade en
bois vire au gris ou au noir, c’est la lignine qui s’oxyde.
Que devient la lignine que vous retirez ? On peut absolument la valoriser. La lignine est en soi
un matériau très intéressant car cette macro-molécule peut être fragmentée en différents
éléments d’intérêt. Un exemple : le benzène-xylène-toluène (BXT), qui est
la brique de base de toute la pétrochimie actuelle, peut-être remplacé par des
fragments de lignine, et donc être biosourcé.
C’est ce que vous faites ? Nous attendons
d’augmenter significativement notre production. Mais nous avons résolument une attitude d’écoconception. Notre stratégie d'entreprise intègre de la conception à la production, jusqu'à l'utilisation et le recyclage du produit, une réflexion intégrant l'impact environnemental. C'est pour cela que nous prévoyons la revente de la lignine sur les
marchés de chimie de spécialité pour qu’elle soit transformée en éléments
d’intérêt biosourcés et participer à l’économie circulaire et à la
décarbonation de l’industrie.
Avec ses nouvelles propriétés
physiques, le bois Woodoo s’ouvre à de nouvelles fonctionnalités.
Sa solidité permet de produire des
parois très minces pouvant servir à des commandes tactiles résistives (avec de
légères pression de doigts) ou capacitives comme celles de nos smartphones. Très
mince, il laisse passer la lumière. Ses qualités optiques permettent aussi son utilisation pour des panneaux lumineux.
Dans le domaine des applications
électroniques et domotiques, le bois Woodoo permet de capter les mouvements et
d’interagir avec des faisceaux lumineux pour déclencher les commandes (éteindre
ou allumer un appareil, augmenter ou diminuer le volume du son…).
Parmi les applications : les tableaux de bord des automobiles, le mobilier design,
l’optique ou l’horlogerie.
Mais la solidité acquise du bois permet de viser plus haut avec la construction de bâtiments titillant l’azur.
Des
gratte-ciel en bois
L’avenir proche du bois Woodoo se
tourne vers la construction.
Entrepreneur, chimiste, Timothée Boitouzet est aussi architecte de formation. Le spécialiste des biomatériaux a pour
projet la construction de villes où s’érigeront des immeubles en bois aujourd’hui inconcevables.
Aujourd’hui, le plus haut gratte-ciel
au monde en bois est en Suède dans la ville de à Skellefteå. Il fait 20 étages. Le bois Woodoo permettrait de s'élever jusqu'à 50 étages.
Mais, le principal ne réside pas dans la
hauteur des bâtiments. Les nouvelles propriétés physiques du bois Woodoo
permettent en effet d'envisager de le substituer aux matériaux de construction actuellement
en cours, comme le béton et l’acier ou l’aluminium.
C'est là que se fait jour l'un des atouts majeurs du « bois augmenté » : sa dimension environnementale.
Haute performance environnementale
Propriétés physiques, optiques, esthétiques nouvelles, le matériau Woodoo peut aussi se prévaloir de performances environnementales face aux matériaux traditionnels utilisés dans la construction (béton, acier, verre...) à l'origine d'une part substantielle des émissions de CO2.
Le bois Woodoo lui, est 17 fois moins énergivore que le verre, 130 fois moins que l'acier et 475 fois moins que l'aluminium.« 1 m³ de béton va dégager presque 900 kg de CO2 quand 1 m³ de bois Woodoo va au contraire capter 650 kilogrammes de CO2 », précise Olivier Grange, directeur marketing et communication chez Woodoo.
Le bilan est carbo-négatif car l'arbre est un puits de carbone très performant. Derrière les océans, les forêts sont le deuxième plus grand puits de carbone de la planète.
Véritable puits de carbone, l'arbre est un réservoir naturel qui capte et stocke, tout au long de sa vie, le carbone présent dans l’atmosphère par le mécanisme de la photosynthèse.
Ce n'est que lorsque l'arbre meurt que le CO2 est relâché dans l'atmosphère du fait de sa décomposition, ou bien lorsqu'on le brûle.
S'il est coupé et transformé en planches, le carbone emprisonné reste dans le bois. La durée de rétention du CO2 est donc prolongée si on utilise le bois comme matériau de
construction.
Avec Woodoo, pas besoin de bois exotiques ou de bois précieux comme l'ébène, l'acajou, l'amarante ou le chêne. L'opération de transformation du bois par Woodoo peut s'appliquer à des bois à croissance rapide dits de « faible constitution » comme le hêtre, le charme, le pin maritime ou encore le peuplier habituellement utilisés comme combustibles ou pour faire de la pâte à papier.
Ces bois à croissance rapide ont pour avantage de capter plus rapidement le CO2. Ils sont aussi économiquement moins chers. De plus, la France dispose d'un gigantesque gisement de 2,6 milliards de mètres cubes, en grande partie inexploité.
L'utilisation prioritaire par Woodoo de ces bois de « faible constitution » devient un levier important dans la gestion des forêts françaises (replantation régulière, optimisation de l'utilisation du bois...) et le rôle que jouent ces « poumons verts » dans l'équilibre climatique.
En métropole, avec 17 millions d’hectares, la forêt couvre 31% du territoire.
« Nous nous efforçons de changer le monde en permettant sa transition vers des solutions durables, afin de gagner le combat pour la décarbonisation et contre le changement climatique » : telle est
« la profession de foi
» de Timothée Boitouzet.