Jean-Hervé
(...) Bien, on va procéder donc en deux temps. Le premier temps, sur le thème du bien commun. Nous allons avoir non pas un débat, mais quelques questions posées à notre Première ministre sur ce thème. Je vais expliquer à quel point ça la concerne depuis toujours. Et puis après, dans un quart d’heure, 4 personnalités éminentes, absolument top, que vous allez découvrir 4 présidents, une présidente et 3 présidents, vont venir et vont reprendre la discussion sur les biens communs, voilà. Peut-être une remarque, pour aller vite, puisqu’on n’a pas beaucoup de temps, en réalité, d’abord, un, vous nous faites un grand honneur de venir. C’est super. En plus, comme je l’ai dit au début, c’est une édition exceptionnelle, comme d’ailleurs chaque année. C’est exceptionnel. Et c’est exceptionnel pourquoi ? Parce que le thème du bien commun, vous vous souvenez, je vous ai dit, on est dans un balancier entre le court terme, c’est-à-dire les exigences sur le pouvoir d’achat sur l’évolution des prix, sur l’évolution des taux d’intérêt, donc des problèmes qui sont réellement, qui nous prennent à la gorge, prennent l’ensemble des pays à la gorge, et puis la volonté que nous avons de pouvoir réfléchir à l’évolution de nos sociétés qui sont en réalité, qui sortent de la Covid de manière totalement nouvelle avec du télétravail, avec une conception de la croissance qui est peut-être nouvelle et différente. Il se trouve que j’ai eu la chance de connaître Élisabeth BORNE, il y a déjà quelques années, et ça m’a toujours frappé, elle a toujours eu ce goût, cet intérêt pour ce qu’est la croissance inclusive et durable ou soutenable, enfin les deux termes sont assez semblables, mais veulent tous dire qu’on essaye de penser la croissance dans une manière de permettre à chacun de trouver sa propre forme de développement. Chance inouïe, c’est que les économistes, depuis deux siècles, travaillent sur des termes, qui sont des termes de biens collectifs, enfin il y a tout… pas besoin de vous ennuyer avec un cours d’histoire de la pensée. Et ce terme de bien commun. Et ce terme de bien commun, en fait, il a été trituré dans tous les sens, mais nous, nous le prenons de manière très simple, comme une ressource partagée qui permet le développement de chacune et de chacun aujourd'hui et demain. Donc cela signifie, vous voyez que c'est suffisamment souple pour qu'on puisse y mettre beaucoup de choses, de la qualité de l'air à la… j'allais dire, à l'épanouissement de l'individu dans son travail. Et c'est la raison pour laquelle j'ai pensé qu'il était intéressant, qu'après sa déclaration de politique générale, qui était quand même politique comme le nom l'indique, qu'on revienne un instant au fond, à l'objectif, la vision qu'on peut avoir de l'avenir en prenant 4 ou 5 thèmes sur lesquels la définition même et le contenu même de ce qui est le bien commun prend tout son sens. C'est vrai que j'ai pensé au progrès scientifique, ce sont des termes qui, pour nous autres, permettent peut-être l'accroissement de la croissance potentielle en France ; l'Énergie, évidemment ; évidemment, la protection des individus face à tous les risques qui apparaissent, et puis le lien social qui peut-être est secoué dans ces derniers temps. Vous reconnaîtrez d'ailleurs l'habileté du propos, puisque c'est exactement de ce dont vont parler chacun de nos 4 présidents. Enfin, ce n'est pas tout à fait par hasard. Voilà, donc je vous propose de ne plus vous interrompre, mais de peut-être de vous laisser maintenant la parole pour une quinzaine de minutes pour dire au fond comment vous concevez cette croissance à travers ces termes que je viens d'employer.
Élisabeth BORNE
Alors, je remercie Jean-Hervé de me demander d'exposer les transformations du monde et comment les réussir en 15 minutes. Peut-être que tu as trouvé que ma déclaration de politique générale était trop longue, donc il était préférable de m'enfermer dans un temps court. Non, enfin tu as évoqué beaucoup de sujets qui sont évidemment très importants et sur lesquels on a des défis assez considérables.
Le défi de l'éducation ; peut-être on peut venir effectivement sur les questions de souveraineté énergétique ; la façon dont on peut appréhender les crises et puis le lien, l'engagement de chacun pour bâtir un projet, un projet commun et notamment ce qu'on peut penser de l'abstention et qui est… enfin abstention qui a été particulièrement élevée chez les jeunes.
Évidemment, l'éducation, c'est certainement notre premier bien commun. Je pense qu'on a en France un système qui sait produire l'excellence, et on a vu encore la semaine dernière la médaille Fields qui a été obtenue par Hugo DUMINIL-COPIN. Donc on sait produire l'excellence. Je pense que c'est un des principaux défis que connaît notre système éducatif, c'est qu'il est sans doute l'un de ceux qui reproduit le plus les inégalités. Et par ailleurs, je pense qu’ici, la situation est la même que partout en France.
On a aussi un paradoxe d’avoir encore un taux de chômage qui n’est pas celui du plein emploi et néanmoins des entreprises qui éprouvent de très grandes difficultés à recruter. Donc, ça veut dire que notre système éducatif, notre système de formation manifestement ne forme pas les compétences dont notre économie a besoin. Je ne vais pas vous exposer, et puis en plus, je tiens à votre disposition la déclaration politique générale pour ceux qui ne l’auraient pas encore lue ou regardé.
Je pense qu’on a vraiment des défis considérables dans le domaine de l’éducation, le premier étant à la fois de continuer à tenir les savoirs fondamentaux, lire, écrire, compter et respecter autrui et en même temps le défi de former les jeunes aux nouveaux savoirs fondamentaux. J’ai évoqué le codage informatique, mais c’est vrai qu’il y a un certain nombre de savoirs qui deviennent totalement indispensables dans la société qui est la nôtre. Je le disais, je pense évidemment qu’il faut continuer à tenir l’objectif de l’excellence, continuer à avoir, à former les futurs médaille fields demain mais que je suis convaincue qu’on a une transformation profonde à faire dans notre système éducatif pour permettre à chacune de révéler son talent. Moi, en tant que ministre du Travail, je peux vous assurer que j’ai vu trop de jeunes qui n’avaient pas trouvé leur place, on va dire les choses poliment, qui n’avaient pas trouvé leur place dans le système éducatif et qui sortent de là en ayant perdu totalement confiance en eux. Et je pense que c’est évidemment un défi considérable de demander à des enseignants de former des millions de jeunes et en même temps de tenir compte de ce qu’est chacun de ses élèves.
Mais on n’a pas le choix, il faut réussir à permettre à chacun de découvrir ses propres talents, de prendre appui sur ce que sont ses forces pour surmonter ce que peuvent être ses faiblesses. Je suis vraiment convaincue que notre système doit réussir cela.
Pour le réussir, c'est évidemment les enseignants qui sont au cœur de ce défi considérable. Donc, ça veut dire qu'il y a d'énormes démarches de revalorisation du métier d'enseignant qui est indispensable, et puis qu’il faut sans doute aussi repenser ce métier d'enseignant et le faire bien sûr avec ceux qui sont les premiers concernés, c'est-à-dire les enseignants eux-mêmes.
L'autre point qu’on porte fortement que le président de la République avait porté pas très loin d'ici à Marseille, c'est aussi le fait de dire que tout ça ne peut marcher que si les établissements ont des marges de manœuvre, qu'on ne doit pas tout régler par circulaires depuis Paris. Il y a certainement beaucoup d'intelligence partout dans les territoires, dans chaque établissement, et qu'il faut permettre à ces établissements d'avoir des marges de manœuvre pour concevoir les bons projets pédagogiques en tenant compte du contexte, en tenant compte de la situation des élèves qui sont dans l'établissement.
Dernier point auquel moi je crois très fortement, c'est qu'on ne peut pas demander à l'Education nationale de tout porter toute seule et qu'on doit être tous mobilisés autour de nos jeunes. Je crois beaucoup, par exemple, que des jeunes qui peuvent avoir perdu confiance en eux peuvent retrouver confiance, par exemple en se démontrant à eux-mêmes qu’ils peuvent être excellents… Des excellents sportifs. Et finalement, si c'est au travers du sport qu’on peut découvrir le goût de se dépasser, le goût du collectif, ce sont de toute façon les qualités dont on a besoin pour réussir à peu près tout, s'accrocher, se dépasser, voilà, être dans le collectif et que, autour de l'école, il faut que les collectivités, les associations puissent aussi se mobiliser pour aider nos jeunes à trouver leur voie.
Alors, comme vous le savez, c'est un des sujets sur lequel on a annoncé qu'on lancerait dans chaque territoire des concertations à la rentrée. Le Cap, c'est celui-là. Donc c'est de permettre de bâtir le système éducatif de demain qui porte l'excellence, qui porte aussi l'égalité des chances, qui porte l'attention à chaque enfant. Et je pense que c'est un beau sujet sur lequel on peut tous se mobiliser.
Tu évoquais, Jean-Hervé aussi les enjeux d'énergie. Évidemment, ils sont plus cruciaux que jamais. On a à répondre aux défis climatiques et donc à la nécessité de sortir au plus vite des énergies fossiles. Et je pense que c'est un bel objectif de se dire qu'on veut être le premier pays à sortir des énergies fossiles, on a déjà une des productions d’électricité les plus décarbonées, ce qui se passe au porte de l’Europe, la guerre en Ukraine, les sanctions sur la Russie, les contre-sanctions que la Russie peut mettre, et potentiellement la menace de couper purement et simplement les livraisons de gaz à l’Europe doivent être l’occasion d’accélérer, de se dire que : « Voilà, on va faire peut-être en un an ce qu’on aurait pu faire en dix, et qu’on veut vraiment sortir des énergies fossiles ». Je pense qu’il ne faut pas se cacher la réalité et la gravité de la situation dans lesquelles on est.
L'hypothèse qu'il y ait tout simplement une rupture d'approvisionnement, une rupture de livraison de la Russie pour l'Europe, elle est crédible. Il faut donc s'y préparer avec y compris les plans de sobriété énergétique sur lesquels Agnès PANNIER-RUNACHER a déjà eu l'occasion de s'exprimer, et qui seront présentés prochainement. On peut certainement surmonter une difficulté de ce type, mais ça supposera que chacun se mobilise et puisse agir pour surmonter cette difficulté. Et puis, bien évidemment, à moyen terme, ça suppose d'accélérer sur tout ce qui est la baisse des consommations, la rénovation thermique des logements, la décarbonation des mobilités, la décarbonation de l'industrie.
Vous savez qu'on a “France 2030”, le plan d'investissement de 50 milliards d'euros qui va largement pouvoir être mobilisé pour accélérer cette décarbonation de l'industrie. Et peut-être parce que tout ça finit peut-être par être un peu démoralisant, toutes ces crises auxquelles on est confronté, moi, je pense que ça peut aussi, et qu'on a intérêt à considérer que c'est une chance pour renforcer notre souveraineté, pour créer des emplois sur notre territoire, et donc pour atteindre un objectif auquel je crois profondément qui est le plein emploi.
Et puis que par ailleurs, tu mentionnais le sujet du pouvoir d'achat, c'est certainement aussi une des réponses qu'on doit apporter pour éviter que régulièrement, on soit confronté à une flambée du prix du baril. Moi, comme je suis très vieille, j'en ai vu beaucoup, et à un moment donné, tout d'un coup, vous avez le pouvoir d'achat de millions de Français qui est amputé parce que le baril de pétrole est en train de flamber.
Il faut sortir de cette vulnérabilité, et sortir des énergies fossiles. C'est aussi une bonne façon de garantir du pouvoir d'achat dans la durée à nos concitoyens.
Une autre question que tu as mentionné, c'est comment on se prépare à faire face aux crises ? Quel peut être le rôle de l'État ? Quel peut être le rôle du Gouvernement ?
Je trouve que la question est intéressante parce que ça revient à se demander comment on se prépare pour faire face à des crises qu'on ne connaît pas encore ? Donc on voit que ce n'est pas forcément la question la plus simple.
La crise du Covid, je pense que personne ne l'avait imaginée, et on ne sait pas de quoi sera fait la prochaine, ou de quoi seront faites les prochaines crises. Je pense qu'on peut quand même retenir de celles qu'on a vécues et notamment la crise du Covid, le fait que finalement, si on se mobilise tous, on arrive à tout surmonter, et que l'État, les collectivités, les entreprises, les citoyens se sont mobilisés, et partant d'une situation de désorganisation, et quand même d'une situation dans laquelle on était tous assez éberlués de ce qui nous arrivait au printemps 2020.
On a quand même réussi, dans notre pays, à avoir la croissance la plus forte de la zone euro en 2021. On a réussi à sortir de cette crise inédite avec le taux de chômage le plus bas depuis 15 ans. Je pense que notre pays, il doit aussi se dire qu'il est capable de faire ça, quand on se mobilise tous pour surmonter une crise inédite et totalement imprévisible.
Et puis peut-être ce que j'en retiens aussi, c'est que, moi, j'ai pu observer que les entreprises, nos grands opérateurs qui avaient des plans de continuité d'activité, qui traitaient d'autre chose, étaient sans doute mieux préparés pour faire face à une crise, bah, qui se trouvait être la crise de la Covid. Donc que chacun travaille et c'est l'État qui va évidemment impulser cette démarche commune à des stratégies de résilience. On voit qu'on ne sait peut-être pas qu'elle est la menace qui va venir, mais se préparer à affronter des crises, ça permet aussi de faire face à l'imprévu.
Pour finir, sur la question du lien, on voit que la crise Covid aura un impact durable dans notre… enfin dans les relations que chacun peut avoir avec les autres. Moi, je soutiens à fond le télétravail. Je suis quand même assez inquiète quand on se dit que certain de nos concitoyens, dont on a déjà pu voir au travers de la crise des gilets jaunes que peut-être le manque de lien social pouvait à la fin créer du désarroi, créer de la colère, quand on habite très loin de son travail, quand on habite dans des territoires où on a bâti son… oui, sa maison entourée d'une haie, où on ne croise personne, où il n'y a pas de café, il n'y a pas de commerces de proximité ; manifestement, c'est quand même assez destructeur du lien au sein de nos sociétés. C'est assez destructeur de la vision qu'on peut avoir d'appartenir à une nation.
Le télétravail par-dessus ça, enfin je pense qu'il faut quand même qu'on soit attentif au fait que ça ne doit pas être l'occasion de passer encore moins de temps avec d'autres êtres humains, si je peux dire, et de passer encore plus de temps devant les écrans. Donc c'est une réflexion qu'il faut forcément avoir.
Je trouve que cette crise, elle a aussi montré des élans de solidarité, voilà qu'on ne soupçonnait peut-être pas et qu'il faut capitaliser sur cette capacité qu'on peut avoir précisément à mobiliser cette solidarité, capitaliser sur quelque chose qui est très fort chez les jeunes, qui est le goût de l'engagement, la volonté de s'engager sur des causes qui mobilisent, qui font rêver. Je pense qu'on en a une qui fait clairement rêver les jeunes ou en tout cas qui les interpelle très fortement, c'est précisément la transition écologique.
Moi, je souhaite porter des projets ambitieux de transformation qui à la fois rassurent sur le fait qu'on prend bien à bras le corps les enjeux qui sont devant nous : le dérèglement climatique. Je pense que le réchauffement ici, on peut se convaincre qu'il est bien là. Et donc porter des ambitions très fortes pour notre pays sur lesquelles on peut embarquer nos concitoyens, en premier lieu les jeunes.
Donc voilà, je ne pense pas avoir forcément décrit tous les défis et la façon d'y répondre, mais peut-être quelques mots que je pouvais dire sur ce que tu as mentionné, comme nos biens communs.
Jean-Hervé
Bon, écoute, dans mon langage à moi, c'était top. Un résumé formidable. Et pour ceux qui voudraient reprendre la déclaration de politique générale, c'est, beaucoup de choses avaient été dites, il y a trois jours et c'est très important. Voilà. Donc je pense qu'on peut vraiment la remercier parce que l'emploi du temps d’une Première ministre, ce n'est pas simple. Merci beaucoup.