Proposer un logement directement depuis la rue à des personnes sans domicile présentant des troubles psychiatriques sévères moyennant un accompagnement intensif et pluridisciplinaire à leur domicile c’est le pari du « Un chez-soi d’abord » lancé en 2011 par l’État.
Inspiré de modèles venus d’Outre-Atlantique et issu d’une expérience princeps lancée à Marseille par Vincent Girard psychiatre de rue et son équipe, ce modèle mise sur les compétences des personnes et leur laisse le choix et du temps. Ce n’est pas une recette idéale et magique mais c’est un changement radical de posture qui admet que pour un certain nombre de personnes le modèle classique ne marche pas ou plus. Ce constat fait, il faut inventer autre chose et la proposition du « Un chez-soi d’abord » c’est de faire collectivement un pas de côté qui permet d’ouvrir un espace des possibles pour ces personnes jusque-là bloquées dans ce que la Cour des comptes dans son rapport de 2007 appelait les « portes tournantes ».
Car il faut toujours avoir à l’esprit que les personnes accompagnées par le dispositif ont un âge moyen de décès 30 à 35 ans plus tôt que celui de la population générale, tournent entre hébergement d’urgence, rue, incarcération, hospitalisation et subissent stigmatisation vis-à-vis de l’emploi, du logement, des soins et globalement de toutes les activités sociales. La discrimination subie est une double peine qui s’ajoute aux difficultés de la maladie.
Le dispositif adossé lors de son lancement à une recherche indépendante a montré son efficience et a été pérennisé. Entre 2018 et 2022 c’est 32 sites ouverts pour 2570 places en France métropolitaine et sur deux territoires ultramarins ; en parallèle, une expérimentation spécifique pour les jeunes a été lancée sur Lille et Toulouse.
Mais au-delà des chiffres, ce sont surtout les pratiques et les témoignages des locataires que nous souhaitions évoquer pour ces dix ans. Pour les témoignages, nous leur laisseront la parole dans le cadre d’un film réalisé l'occasion de la semaine de la solidarité à Lyon en 2021 :
Si le diagnostic est une des clés d’entrée pour postuler sur le dispositif, il n’y a aucune obligation de soin ou d’arrêt des consommations une fois la personne intégrée. C’est le logement qui est le premier outil de travail de l’équipe : son choix, son ameublement, son appropriation par la personne. Pourtant, et la recherche l’a aussi montré les personnes déclarent rapidement que l’un des effets du « Un chez-soi d’abord » c’est qu’elles connaissent mieux leur maladie et savent mieux « faire avec ». L’accompagnement, basé sur le principe du rétablissement en santé mentale vise à leur permettre de retrouver du pouvoir sur leur propre vie pour accéder à une citoyenneté pleine et entière. Le logement apporte la dignité et permet de vivre « comme tout le monde » avec notamment sa propre clé.
Les pratiques du « Un chez-soi d’abord » c’est pêle-mêle : la multi-référence qui laisse à la personne le gouvernail pour décider de son parcours, les visites en binôme au domicile et l’appui sur toutes les ressources de la cité et notamment du quartier pour ensuite « le faire soit même », c’est l’espoir que « oui on peut se rétablir », c’est le soutien même la nuit et les week-end avec la permanence téléphonique disponible H24 et 7j/7, c’est les outils du rétablissement avec les plans de crise, les directives anticipées, les plans de bien-être pour déterminer « ce que je souhaite et comment y arriver, quand ça ne va pas mais aussi ce qui me fait du bien », c’est les loisirs en commun, les temps d’échange en groupe mais c’est aussi la coresponsabilité à tous les niveaux, entre les opérateurs qui sont organisés en groupement, entre les professionnels « car au chez-soi tout le monde fait tout » et enfin avec les locataires car le rétablissement c’est « prendre des risques mais les mesurer et y être accompagné par une équipe ». Un des maîtres mots c’est le temps avec un accompagnement « autant que de besoin » ou on peut tester et ne pas réussir et recommencer notamment vis-à-vis du logement. Et enfin le chez-soi c’est avoir au sein de l’équipe des médiateurs de santé pairs qui apportent leur savoir expérientiel de la maladie et de l’utilisation des services de soin en santé mentale.
Alors pour ces dix ans du dispositif « Un chez-soi d’abord » on va rêver, rêver d’avoir plus de logement accessible financièrement, rêver que les principes du rétablissement en santé mentale se répandent partout pour un accompagnement respectueux des choix des personnes mais on peut aussi regarder ce qui a été construit depuis dix ans, la formidable énergie des locataires, des équipes et des gestionnaires à faire vivre ce dispositif.
Et les perspectives pour les prochaines années, c’est le développement du dispositif pour les jeunes qui semble être très efficace et pour qui nous présenterons les résultats de l’évaluation en 2023, c’est le déploiement de nouveaux sites en ville moyenne, c’est les travaux en cours pour un modèle en zone rurale.
Dr. Pascale ESTECAHANDY, Coordinatrice nationale du dispositif "Un Chez-soi d'abord"