Monsieur le cardinal secrétaire d’État,
Éminence,
Excellence,
Monsieur le Nonce,
Monsieur le Chanoine,
ma Sœur,
Messieurs les ministres,
Madame l’ambassadrice,
Monsieur le député,
Mesdames et Messieurs,
Le destin si particulier de la France, celui d’une nation consciente d’elle-même et de ses devoirs à l’égard du reste du monde depuis plus de 15 siècles, ne saurait se concevoir sans les vocations de son lien millénaire, au point d’être qualifié de filial avec l’Église catholique.
Un lien que l’on crut longtemps indissoluble, car je n’oserais pas utiliser ici devant tant de théologiens, le terme de « consubstantiel », mais qui fût paradoxalement marqué par des crises violentes, des ruptures profondes et une émancipation parfois mal vécue ou mal comprise de part et d’autre. Si la préhistoire de notre pays trouve son origine au fond d’une grotte à Lascaux, l’histoire de France, en tant que Nation, naît à Reims dans la cuve d’un baptistère.
Avec Clovis et ses successeurs, qu’ils soient mérovingiens ou carolingiens, les Papes de Rome ont patiemment construit un discours politique et théologique qui assigne alors au peuple français et à ses souverains, un véritable rôle messianique en le désignant comme le nouveau peuple élu de la nouvelle alliance et le chargeant, à ce titre, d’accomplir la volonté de Dieu.
CeGesta Dei per Francosvisait à faire du peuple franc, le peuple hébreux du nouveau testament. Pourtant, malgré cette histoire millénaire, sa Sainteté le Pape François, que je viens d’avoir l’immense honneur et plaisir de rencontrer en audience ce matin même, a un jour qualifié la France, je le cite, de « fille aînée de l’Eglise, mais pas toujours fidèle. »
De fait, si la rupture des relations diplomatiques intervenue en 1904 entre la France et le Saint-Siège a marqué autant l’histoire que les esprits, elle ne résume pas à elle seule la longue suite des turbulences de cette fille aînée. Car, et ce n’est pas le moindre des paradoxes qui marque l’histoire des relations entre la France et le Saint-Siège, si la Chrétienté a contribué à la naissance de la Nation, celle-ci s’est aussi construite dès le début du XIVè siècle contre l’autorité pontificale et ses ambitions de souveraineté universelle.
La première fois que le peuple français a été consulté en tant que corps politique constitué, c’est à l’occasion des États généraux de 1362 réunis par le roi Philippe Le Bel dans la cathédrale Notre-Dame de Paris. Il s’agissait alors pour le roi de France de s’opposer directement au Pape qui venait de décider, ou de décréter, la supériorité de son pouvoir spirituel sur tout pouvoir temporel quel qu’il fût. Or le roi tenait à s’assurer en son royaume de l’obéissance du clergé et du droit de prélever l’impôt sur les biens de l’Église.
Chacun sait que le conflit s’envenima. On connaît l’épisode la gifle d’ Anagni, la mort de Boniface VIII et l’assignation à résidence pour près d’un siècle de la papauté en Avignon sous l’étroite surveillance des rois de France.
Le gallicanisme était né. 5 siècles plus tard, les papes Pie VI et Pie VII seront à nouveau les hôtes bien involontaires de la France révolutionnaire. C'est pour rétablir des liens pacifiés entre la France issue de la Révolution et la papauté que Bonaparte et le pape Pie VII négocièrent le Concordat de 1801. Il s'agissait pour le Premier consul d'assurer la paix religieuse après 10 ans de guerre civile, notamment en Vendée, et pour le Pape d'obtenir pour les catholiques français la liberté et la publicité du culte.
On peut ici saluer l'intelligence politique et la hauteur de vue du souverain pontife qui renonça à conditionner la négociation de ce nouveau consulat, de ce nouveau concordat pardon, à une réparation des torts matériels infligés à l'Église par la Révolution.
Seule comptait à ses yeux la reconnaissance d'un droit à une complète liberté de religion, droit qui devait être reconnu, protégé et garanti par l'autorité de l'État. Je ne reviendrai pas ici en détail dans le cadre de la présente commémoration, vous l’avez fait Monsieur le secrétaire d'Etat, sur les raisons qui conduisirent à la rupture des relations diplomatiques entre la France et le Saint-Siège.
Elles sont multiples et ne tiennent pas uniquement à la loi de séparation car certaines lui sont même antérieures. C'est l'interdiction de l'enseignement aux congrégations religieuses, et vous l'avez dit la visite du président Émile LOUBET au roi d'Italie Victor-Emmanuel III, vécue comme une humiliation par le pape Pie X, qui précipitèrent la fin d'un concordat devenue caduque ipso facto. Il convient de noter que si en 1904, la République rappela son ambassadeur, le Saint-Siège, lui, maintint une représentation diplomatique, même discrète, à Paris.
Cette rupture a sans doute été vécue comme un traumatisme par le Saint-Siège, alors même que quelques années plus tôt, le pape Léon XIII avait autorisé les catholiques français à rallier la République par la publication de l'encyclique “Au milieu des sollicitudes” du 16 février 1892.
Le Saint-Siège ainsi se refusait, comme il le fera plus tard en 1926 avec la condamnation de l'Action française, à entretenir même indirectement en France des ferments de haine et de division.
Avec un siècle de recul, alors que notre pays est victime d'une haine terroriste qui prend une religion pour prétexte, la profonde sagesse des papes Léon XIII et Pie XI est une leçon adressée à tous ceux qui pensent que croire en la transcendance divine autorise à s'affranchir de tous les droits humains. Ainsi, la rupture entre la France et le Saint-Siège ne durera pas.
La Grande Guerre, le sacrifice de près d'un million de Français, l'union sacrée de ceux qui croyaient au ciel et de ceux qui n'y croyaient pas, le soutien des aumôniers aux poilus dans les tranchées, le retour dans le giron national de l'Alsace et de la Moselle, encore régi par le Concordat, l'élection d'une chambre bleu horizon, et enfin la personnalité du Pape Benoît XV, qui déclarait regretter de « ne pas être Français de naissance mais de l’être de cœur » allaient évidemment changer radicalement les choses.
La canonisation de Jeanne d'Arc en 1920 et sa proclamation comme patronne de la France le 2 mars 1921 étaient des signes de la nouvelle bienveillance du Saint-Siège à l'égard de notre pays.
Comme le pape Pie VII en son temps, le pape Benoît XV eut alors la finesse de ne pas conditionner la reprise des relations diplomatiques à un retour à la situation antérieure et d'entériner ainsi la fin du Concordat.
De son côté, le président MILLERAND acceptait de traiter de puissance à puissance avec le Saint-Siège alors même que le Vatican n'était plus considéré comme un Etat de droit international depuis 1870. Il faudra attendre pour cela, on le sait, les fameux accords du Latran en 1929. On serait alors en droit de s'étonner que le pape Benoît XV ait accepté avec une facilité apparente la séparation de l'Eglise et de l'Etat, alors même que son prédécesseur immédiat l'avait tenue pour un terrible casus belli.
C'est que la loi de 1905 avait mis fin en réalité à 7 siècles de gallicanisme, rendu à l'Église catholique sa totale liberté et au pape une autorité pleine et entière sur le clergé de France.
Votre lointain prédécesseur, Éminence, le cardinal secrétaire d’État Rafael MERRY DEL VAL, ne s'y est pas trompé lorsqu'au lendemain du vote définitif de la loi de séparation il écrivait au chargé d'affaires de la nonciature resté en poste à Paris « Il est de toute nécessité que la presse catholique ne fasse pas état du succès obtenu. Ce serait de la mauvaise politique. »
Pour mieux comprendre cette évolution dans l'appréciation du principe de laïcité par le Saint-Siège, il suffit de rappeler ici devant vous que, sous le régime concordataire, les évêques étaient nommés par le chef de l’État avant d'être confirmés par le pape, qu'ils avaient par ailleurs interdiction de se réunir entre eux et de communiquer avec le Saint-Siège sans l'autorisation du gouvernement, et qu'enfin les sermons des prêtres étaient soumis à la censure des préfets dès lors qu'ils abordaient des sujets considérés comme politiques.
Alors je sais bien qu'il a souvent été question de qualifier la laïcité française. On lui a parfois demandé d'être positive, constructive, ouverte ou, à l'inverse, vigilante, voire intransigeante.
Or je suis convaincu que dès lors qu'elle est conforme à l'esprit comme à la lettre de la loi de 1905 et de ses différentes modifications, la laïcité n'a pas besoin de qualificatifs.
Loin d'être comme certains font semblant de le croire le moyen d'exclure le fait religieux de l'espace social et du débat public, elle délimite simplement les domaines d'intervention de l'État d'un côté et de la religion de l'autre.
Il n'est pas question d'un conflit de transcendance, mais simplement de rendre à la République ce qui est à la République et à Dieu ce qui est à Dieu. A cet égard, je n'ignore pas les inquiétudes qui se sont faites jour lors des débats sur la loi confortant les principes de la République qui a précisément actualisé le régime d'organisation des cultes issus de la loi de 1905. Ce dernier datait d’une époque où l’Islam était largement absent de la France métropolitaine. Nous avons pris grand soin que la préparation du texte, puis le débat parlementaire soient marqués par le respect le plus rigoureux des libertés constitutionnellement et conventionnellement garanties.
In fine,le statut des associations cultuelles et diocésaines est modernisé et conforté. Leurs sources de financement sont étendues sans que cela n'entraîne aucun alourdissement administratif. C'est la raison pour laquelle le ministre de l'Intérieur veillera attentivement à ce que le décret d'application de la loi, la demande quinquennale de renouvellement de la qualité d'association cultuelle, soit le plus simple possible et que les formalités pour dons et legs soient même allégées.
La loi confortant les principes de la République d'août dernier n'est donc en rien constitutive d'un changement de paradigme de la laïcité républicaine, mais vient au contraire la consacrer en l'adaptant au temps présent.
Pourtant, et c'est toute la subtilité d'une république laïque qui entretient des relations diplomatiques avec le Saint-Siège, le Gouvernement français ne pouvait pas rester totalement étranger à la nomination d'évêques qui, chacun dans leur département, occupaient et occupent toujours une place importante qui les met de fait en lien étroit avec les autorités civiles.
Un accord fut donc trouvé dans le cadre de la reprise des relations diplomatiques. Le nonce apostolique en France aujourd'hui Monseigneur Migliore, et pour lequel j'ai à titre personnel, je tiens à le dire ici, estime et amitié tant je puis témoigner tout à la fois de son sens, de la mesure et de l'intérêt général. Le nonce, donc, retrouvait toutes ses prérogatives et en particulier son rôle de doyen du corps diplomatique en France.
Le Gouvernement obtenait quant à lui le droit de se voir communiquer le nom des évêques pressentis 15 jours avant leur nomination et la possibilité de soulever une objection d'ordre politique.
En un siècle, cet équilibre a trouvé sa validité. Le plus marquant pour les spécialistes de l'histoire diplomatique est que cet accord ne donna lieu à aucun traité ni textes de nature internationale, mais qu'il prit simplement la forme de lettres d'intention et de simple aide-mémoire.
Preuve que l'on peut faire de la grande diplomatie avec une économie de moyens et de mots.
Entre la France et le Saint-Siège, 1921, vous l'aurez compris, ne marque donc pas le retour au régime du Concordat, mais bien à celui de l'esprit de Concorde. Aussi, je suis venu affirmer ici, dans cette villa Bonaparte, chère Madame, où siège notre représentation près de l’État de la Cité du Vatican, que malgré les difficultés qui ont pu troubler depuis les relations entre la France et le Saint-Siège, c'est toujours l'esprit de Concorde qui nous guide et qui finit par l'emporter.
Un esprit de concorde qui, depuis la reprise des relations diplomatiques, a rendu possible la signature de 14 conventions ou accords de Gouvernement. L'un des plus récents, adopté en juillet 2016, concerne les pieux établissements français à Rome, placés, vous le savez, sous la présidence de notre ambassadrice. Qu'il me soit permis de dire ici combien je partage l'opinion de Monseigneur GALÈRE ( phon), secrétaire pour les relations avec les États qui voyait dans la permanence de ces fondations religieuses, dont certaines remontent au 14e siècle, un signe de l'excellent esprit d'entente bilatérale qui existe entre le Saint-Siège et la France et je voudrais réaffirmer devant vous cette importance aujourd'hui. Un esprit de Concorde qui a permis à la République française d'accueillir plus de 14 nonces apostoliques en un siècle, dont le cardinal Angelo RONCALLI, qui recevra à genoux la barrette des mains du président Auriol au palais de l’Élysée, est entré dans l'histoire sous le nom de Pape Jean 23, un esprit de concorde qui a permis au Saint-Siège de recevoir les lettres de créance de plus de 30 ambassadeurs de France, parmi lesquels on compte le philosophe Jacques MARITAIN.
Et si je le cite, c'est parce que je persiste à croire, et c'était aussi le cas du général de GAULLE, qu'au-delà de la foi des catholiques de notre pays, la pensée chrétienne, parce que le christianisme est la religion de l'incarnation et donc d'un humanisme est en mesure de parler à toutes les consciences et donc à toutes les bonnes volontés.
Le pape Jean-Paul II rappelait dans son homélie du Bourget, il y a plus de 40 ans maintenant, que cet humanisme chrétien que j'évoquais à l'instant a beaucoup en partage avec celui de la République française, car lui aussi promeut, enseigne et défend à travers le monde l'idée de liberté, d'égalité et de fraternité.
Ainsi, lorsque la République française accueille des Afghans qui fuient leur pays, elle est évidemment fidèle au troisième mot de sa devise. Mais ce faisant, elle rejoint aussi la préoccupation permanente du pape François sur la question des migrants et de leur accueil.
Au nom de cet idéal de fraternité humaine, objet de sa dernière encyclique et illustrée en France par ce beau projet qu'est la Maison Paquita, portée par Monseigneur Aupetit, inauguré voici deux semaines dans le 18e arrondissement de Paris. J'ai également à l'esprit l'engagement discret et efficace des associations catholiques dans l'accueil des plus pauvres.
Certaines d'entre elles étant des partenaires majeurs des pouvoirs publics dans la lutte contre la précarité. J'y vois une autre contribution des catholiques à ce que le président de la République qualifiait, dans son discours aux Bernardins, d'humanisme réaliste dont nous avons, Mesdames et Messieurs, tant besoin pour ne pas laisser prévaloir les discours de rejet qui se font aussi facilement entendre ces temps-ci.
L'émotion légitime de notre opinion publique après la publication des conclusions de la commission présidée par Monsieur Jean-Marc SAUVÉ, dit à elle seule combien les Français attendent de cette institution séculaire protection, bienveillance et exemplarité. Mes pensées vont d'abord à toutes les victimes, et notamment à celles qui ont eu la force de briser le silence après des décennies de souffrance.
C'est l’Église de France qui a commandé ce rapport et permis à cette Commission de travailler en totale indépendance et en lui en donnant les moyens matériels. Il lui appartient maintenant de trouver les réponses nécessaires et la séparation de l’Église et de L’État, chacun le sait, ce n'est en aucun cas la séparation de L’Église et de la loi.
Cet esprit de concorde se manifeste également sur la scène internationale où le Saint-Siège et la France se retrouvent sur l'essentiel. L'attachement à la paix et au développement durable, une même préoccupation face à la mise à mal des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Un engagement sur le terrain, aux côtés des populations et notamment des chrétiens d'Orient. Nous nous retrouvons aussi sur les enjeux climatiques.
L'encyclique Laudato Si a ouvert la voie à l'adoption des accords de Paris en 2015 et reste un texte de référence. L'appel du Saint-Père au début du mois à ce que la « COP 26 » agisse avec urgence pour offrir des réponses est à la hauteur de la gravité de la crise écologique. Cet esprit de concorde se manifeste enfin dans le dialogue entre L’État et les responsables de L’Église catholique, à l'occasion des instances annuelles qui se réunissent à Matignon sous la coprésidence du nonce apostolique. J'ai pu apprécier en mars dernier le caractère à la fois ample et concret de nos échanges qui ont duré trois heures.
Le Gouvernement que je dirige, y attache Monsieur le secrétaire d’État la plus haute importance et je ne laisserai pas dire, comme certains le laissent à penser, que les catholiques sont en France au mieux écoutés, rarement entendus au motif que la France se séculariserait.
Nous pouvons ne pas être d'accord, mais comme l'a indiqué le président de la République, je le cite, « nous écoutons une voix qui tire sa force du réel et sa clarté d'une pensée où la raison dialogue avec une conception transcendante de l'homme. Nous l'écoutons avec intérêt, avec respect et même nous pouvons en faire notre, nombre de ses points ». Comme un écho et l'esprit de concorde que je n'ai cessé d'évoquer au cours de mon propos autant que la courtoisie républicaine m’invite à le faire.
Je voudrais citer aussi, pour finir les mots d’un prélat français. En 1996, Monseigneur DAGENS, disait en substance : « La séparation se présentait à l’origine comme une idéologie conquérante et anticatholique. La laïcité est aujourd’hui un cadre institutionnel et en même temps un état d’esprit qui aide à reconnaître la réalité du fait religieux, et spécialement du fait religieux chrétien dans l’histoire de la société française. Il me semble que le président de la République et l’évêque membre de l’Académie française ont su résumer, par leurs propos et à 20 ans d’intervalle, la réalité d’un lien vivace qui appartient à l’histoire de France.
Je vous remercie.