France 2030 : Pierre-Marie Sarradin, chercheur à l’Ifremer

Publié 02/07/2024|Modifié 14/06/2024

Pierre-Marie Sarradin, chercheur à l’Ifremer a répondu à nos questions dans une interview publiée dans le Rapport d'activité 2023 du Secrétariat général pour l’investissement en charge de France 2030.

1/ Quel est l’état des lieux des océans ? Quels sont les différents impacts des changements qui affectent l’océan ?

Tout d’abord, pour préciser, je parlerai uniquement des grands fonds marins, c’est à dire des écosystèmes qui se situent au-delà de 200 mètres, là où il n’y a plus de photosynthèse. Nous travaillons sur différents écosystèmes présents dans les grands fonds comme les écosystèmes de coraux profonds, dans les canyons ou sur les monts sous-marins, qui ont été fortement impactés par la pêche et le chalutage en eau profonde. Nous essayons de comprendre leur biodiversité, leur fonctionnement, leur résilience et leur dynamique temporelle pour savoir comment les protéger car ils peuvent être impactés par le changement climatique. Nous remarquons aujourd’hui qu’il n’y a presque plus aucune zone non impactée par l’homme car on retrouve des polluants plastiques, chimiques ou organiques persistants jusque dans les fosses océaniques. Une question très actuelle concerne l’évaluation des impacts potentiels sur les écosystèmes profonds et sur le fonctionnement de l’océan global si l’exploitation des ressources minérales marines se concrétise.
Cette acquisition de connaissances a de forts enjeux et doit passer par des étapes de cartographie (seuls 20 % des grands fonds ont été cartographié) et de compréhension du fonctionnement et de la dynamique temporelle de ces écosystèmes.

2/ Quel rôle peut jouer l’Etat pour les protéger ?

Je vois deux axes majeurs. Le premier, c’est la recherche scientifique fondamentale sur le fonctionnement de ces écosystèmes dans l’océan global. L’Etat nous appuie déjà via le financement de cette recherche fondamentale notamment par les dispositifs de France 2030, l’ANR et l’infrastructure de recherche qu’est la Flotte océanographique Française. Le deuxième, c’est le dialogue entre l’Etat et les parties prenantes, notamment les scientifiques. La connaissance scientifique doit permettre de fournir de la connaissance, des données, des expertises pour outiller la gestion de ces écosystèmes. Cela est possible via le financement de projets pluridisciplinaires et des dispositifs dans l’économie maritime par exemple et dans le cadre de notre mission d’appui aux politiques publiques. Il y a aussi un fort enjeu d’information car la méconnaissance du fonctionnement des océans, en particulier profonds, du grand public et des décideurs est grande.
France 2030

3/ Qu’apporte l’exploration des environnements marins profonds ? (en termes de connaissances, recherche scientifique, autres ?) Auriez-vous un exemple de découverte scientifique ayant eu un impact concret ?

Il y a en effet un apport de connaissance fondamentale sur le fonctionnement de l’océan de façon globale avec notamment l’impact du changement climatique ou la présence de polluants dans les couches les plus profondes de l’océan. Ces environnements profonds peuvent abriter des ressources potentielles, biologiques, biotechnologiques, de nouvelles molécules. On a découvert par exemple que certaines protéines thermostables pouvaient être utilisées dans le domaine de la santé. Cette connaissance permet également d’aboutir à des actions concrètes de protection comme l’interdiction du chalutage profond en Europe pour la protection des coraux profonds. Nous travaillons également, dans le cadre de la gestion par Ifremer de 2 contrats d’exploration des ressources minérales pour la France, sur la compréhension du fonctionnement de ces écosystèmes pour savoir si leur exploitation serait sans risque majeur ou au contraire de les protéger avec des mesures strictes et efficaces. 

4/ En quoi l’innovation peut révolutionner la recherche scientifique dans les grands fonds marins ?

La connaissance est directement liée aux progrès technologiques. L’innovation accélère le développement des techniques et de technologies, comme l’acoustique sous-marine pour la cartographie ou les submersibles qui nous ont permis d’accéder à ces zones profondes, qui ont été une révolution pour l’étude des écosystèmes et qui nous a permis de voir ce qu’il se passait à des échelles parfois très petites. Aujourd’hui, technologiquement il est possible d’aller travailler jusqu’à 11 000 mètres de profondeur, les submersibles habités ou non nous permettent d’accéder à des zones jusqu’à 6 000 mètres. Nous développons des robots autonomes et câblés, des capteurs ou des outils comme des observatoires fonds de mer pour collecter des données en temps réel sur le fonctionnement de ces écosystèmes. Les innovations technologiques, ou méthodologiques sont essentielles pour la recherche et la connaissance. Un des prochains défis technologiques qui nous attend est de pouvoir aller dans la biosphère de sub-surface, sous le fonds des océans où il y a potentiellement encore des organismes vivants. Nous utilisons de plus en plus l’intelligence artificielle et travaillons à l’intégration pluridisciplinaire de nos approches et observations et enfin nous essayons d’avoir des méthodes moins impactantes pour les écosystèmes.

5/ Comment s’articule l’écosystème international avec celui de la France pour mener à bien ces explorations et projets d’innovation à destination des grands fonds marins ?

Dans le monde, il n’existe que 6 ou 7 pays qui disposent des infrastructures pour mener ces explorations : Etats-Unis, Canada, Japon, Chine, Russie ou encore Corée qui commence à monter. Il y a de la collaboration internationale même si du fait des tensions géopolitiques, les relations se distendent avec certains pays. En France, nous collaborons beaucoup à l’échelle européenne, nous bénéficions de financements européens pour piloter par exemple des projets sur la restauration des écosystèmes profonds. 

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